Le Canada est une nation productrice d'automobiles.

Depuis plus de 100 ans, le Canada s'est forgé une réputation d'innovateur et de pionnier de la technologie automobile - des chariots à vapeur aux moteurs à essence haute performance, en passant par les véhicules autonomes sans émissions hautement sophistiqués.

Le secteur de l'automobile a fini par dominer le paysage industriel du Canada, en particulier dans le centre de pouvoir manufacturier qu'est l'Ontario. Il est également très important pour l'économie industrielle du Québec. Son influence se fait sentir tant sur le plan économique, en tant que principal secteur d'emploi et générateur de revenus, que sur le plan culturel, en tant que facteur stimulant au sein des communautés locales, des paysages urbains et de l'urbanisme. Pour la classe ouvrière du Canada, les usines d'automobiles ont été le principal champ de bataille pour la formation de syndicats, défier le pouvoir des entreprises et bâtir la solidarité pour négocier des salaires plus justes et des conditions de travail plus sûres, inspirant ainsi d'autres personnes à faire de même. La contribution du secteur automobile canadien au tissu économique et social du pays est incalculable.

Aujourd'hui, le secteur se trouve à un point de bascule; l'industrie ainsi que ses travailleuses et travailleurs sont confrontés à des changements importants et incertains.

Les changements climatiques menacent la santé, la sécurité et le bien-être de tous les habitants de la planète. La dépendance excessive aux sources d'énergie non renouvelables, comme l'essence, contribue largement au problème. Pour survivre à cette crise et atténuer certains de ses effets désormais irréversibles, il faut repenser notre façon de faire, qu'il s'agisse de notre alimentation, de notre lieu de travail ou de nos déplacements.

L'industrie automobile mondiale a certainement contribué à cette crise. La production massive des moteurs à combustion interne pendant plus d'un siècle a entraîné des émissions de gaz nocifs comme le carbone et méthane, ainsi que d'autres polluants. Bien que cette industrie ait été rentable pour les actionnaires et qu'elle ait soutenu les économies locales, elle a également eu des conséquences néfastes pour l'environnement. Les pays du monde entier élaborent des plans pour réduire les émissions en vue d'atteindre la carboneutralité. Le secteur automobile est au cœur de ce changement. La façon dont l'industrie se réinvente pour s’adapter à ce changement massif est une question cruciale à laquelle sont confrontés les 14 millions de travailleuses et de travailleurs de ce secteur partout dans le monde.1

Toutefois, les changement climatiques ne sont pas le seul problème auquel le secteur automobile ainsi que les travailleuses et travailleurs de l'automobile sont confrontés. Ce point de bascule oblige également les gouvernements et les employeurs à évaluer les emplois et la capacité de production nationale.

En 1999, le Canada se classait parmi les cinq premiers pays producteurs d'automobiles au monde. Au début du siècle, le vent a commencé à tourner pour les travailleuses et les travailleurs. En fait, depuis 2001, le secteur canadien de l'automobile a perdu un cinquième de sa main-d'œuvre, soit environ 35 000 emplois bien rémunérés en grande partie syndiqués, en raison de réductions de capacité, de mises à pied et de fermetures d'usines.

Emploi dans l’industrie automobile canadienne (2001-2021)

Graphique linéaire indiquant une baisse de l’emploi dans le secteur canadien de l’automobile’entre 2001 et 2021, y compris une ventilation des données sur l’emploi dans l’ensemble du secteur (baisse de 170 631 travailleuses et travailleurs en 2001 à 121 625 en 2021), ainsi que dans les sous-secteurs des pièces automobiles (baisse de 98 869 travailleuses et travailleurs en 2001 à 69 718 en 2021), de l’assemblage (baisse de 53 204 travailleuses et travailleurs en 2001 à 36 188 en 2021) et de la carrosserie et des remorques (baisse de 18 558 travailleuses et travailleurs en 2001 à 15 719 en 2021).

Source : Statistiques Canada, Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail

Le début du siècle a été un moment décisif pour l'industrie nationale, car les travailleuses et travailleurs de l'automobile ont dû composer avec de nouvelles menaces concurrentielles mondiales et à des chaînes d'approvisionnement en mutation. À la suite du démantèlement du Pacte de l'automobile Canada-États-Unis en 2001, de la multiplication des accords de libre-échange et des changements dans les processus de production mondiaux, l'absence d'une stratégie active de développement industriel dirigée par le gouvernement a laissé le Canada en plan. Pratiquement tous les autres pays producteurs d'automobiles se sont engagés à stimuler le développement du secteur au moyen d’un soutien important de l'État, de règles commerciales favorables et de politiques d'investissement concurrentielles. L'approche non interventionniste du Canada était une exception et non la norme.

Cette période a marqué le début de l'ascension de la Chine en tant que superpuissance automobile à faible coût. Elle a également favorisé la croissance des industries automobiles du Japon et de la Corée du Sud, soutenues par l'État et axées sur les exportations. Le Mexique était lui aussi sur le point de connaître un afflux massif d'investissements et une croissance de sa production. Puis l'effondrement financier mondial de 2009 a entraîné la restructuration du secteur automobile, ponctuée par les déclarations de faillite de General Motors (GM) et de Chrysler, plongeant l'industrie automobile canadienne dans un gouffre inédit.

Au cours des années qui ont suivi, les relations de travail ont été marquées par des restrictions salariales, des réductions des avantages sociaux, des attaques contre les régimes de retraite et l'affaiblissement de la négociation collective. Les jeunes travailleuses et travailleurs, y compris les apprenties et apprentis, se sont détournés d'un secteur qui leur semblait dépassé, démodé et en déclin inéluctable.

Aujourd'hui, ce point de bascule nous offre une occasion unique de changer le discours pour le secteur automobile en faisant en sorte que celui-ci profite véritablement aux travailleuses et aux travailleurs, ainsi qu’aux gens dans collectivités partout au pays. Le Canada possède les compétences, l'expérience et les richesses naturelles nécessaires pour devenir le chef de file mondial de la production automobile, de l'innovation et de la stabilité de la chaîne d'approvisionnement. Nous avons l’occasion d’écrire une histoire de renaissance et de renouveau industriel, une histoire de croissance économique inclusive et de prospérité partagée, une histoire de durabilité et de gérance environnementale.

Tracer la voie vers la reconstruction du puissant secteur canadien de l’automobile offre une stratégie complète sur la façon dont le Canada peut saisir cette occasion et façonner ce discours, en le fondant sur un développement économique actif, coordonné et dirigé par le gouvernement grâce à une série de recommandations politiques concrètes qui profitent à toutes les intervenantes et tous les intervenants, y compris les travailleuses et les travailleurs.

Cette vision dresse cinq piliers fondamentaux pour le développement du secteur.

  1. Développer l’industrie nationale
  2. Gérer la transition vers la carboneutralité
  3. Rehausser les compétences nécessaires pour réussir
  4. Créer des emplois syndiqués de haute qualité
  5. Faire progresser l'équité et l'inclusion

Chacun de ces piliers correspond à une série de recommandations ambitieuses, élaborées par le groupe de travail d'Unifor sur la politique de l'automobile, composé de dirigeants de sections locales, de membres de l’exécutif du Conseil de l'automobile et du Conseil des fournisseurs de pièces indépendants, de membres du Conseil exécutif national d'Unifor ainsi que de membres du personnel national. Cette approche a pour but de tracer la voie vers une industrie automobile durable, une industrie qui atténue les risques pour l'avenir des travailleuses et travailleurs de l'automobile, en les protégeant contre les dangers associés aux chaînes d'approvisionnement mondiales vulnérables, du libre-échange et du capital non réglementé.

Si l'on s'y prend bien, la renaissance du secteur automobile canadien fournira à d'autres un modèle à suivre quant à la manière de concilier les efforts protection de l'environnement avec l'autonomisation économique et la croissance inclusive.


1 Organisation internationale du Travail, document d’orientation L’avenir du travail dans le secteur automobile: la nécessité d’investir dans le potentiel humain et dans le travail décent et durable (2020): https://www.ilo.org/sector/Resources/publications/WCMS_741659/lang--en/index.htm